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TRANSPORTS & MOBILITÉ DURABLE
Synthèse du colloque : Quelle place et quels usages pour la voiture en Ile-de-France ?
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S’il ne faut pas stigmatiser la voiture, il ne faut pas non plus s’affranchir d’une réflexion sur sa place dans l’espace public et ses usages sur les réseaux routiers franciliens. S’il est vrai que sonner le glas de son utilisation n’est pas à l’ordre du jour, il ne faut pas tomber dans le travers inverse : ne pas questionner l’évolution de l’objet-voiture dans l’environnement des Franciliens.
L’objet-voiture reste dans l’imaginaire des consommateurs un moyen d’accéder à la liberté de mobilité ; toutefois, la « mobility as a service » gagne timidement mais sûrement sa place sur le marché de la mobilité. En d’autres termes, posséder sa propre voiture est de moins en moins le sésame ultime pour conquérir la liberté de circulation. Le service de mobilité de l’avenir devra prendre en compte les études scientifiques rédigées par les experts des transports pour in fine co-construire une mobilité non polluante, moins énergivore, sans effets pathogènes, en harmonie avec les modes de transports alternatifs (vélo, marche à pied, transports en commun) et moins bruyante. En résumé, un service tenant compte de tous les ingrédients d’une mobilité durable et écoresponsable.
Les chantiers à entreprendre sont nombreux. Réaménagements urbains, déploiement des infrastructures favorisant les énergies vertes, adaptation aux nouvelles attentes des automobilistes, incitations à utiliser le vélo sont autant de facteurs qui permettront de composer avec la dynamique du stationnement, de développer l’intermodalité et de rendre possible une multi-modalité innovante. En quelques mots, il faut répondre aux défis de mobilité de chacun, tout en préservant l’environnement de tous. Ces chantiers doivent progresser de manière concomitante car il est impensable de croire que chaque acteur spécialisé dans son domaine d’activité et fonctionnant en vase-clos pourra entraîner à lui seul une mutation structurelle des comportements relatifs à la mobilité en Île-de-France. Il faut nécessairement que le dialogue entre toutes les parties prenantes du processus soit permanent et ouvert à l’esprit d’innovation.
Seule une co-construction de l’espace public de demain, avec le concours des protagonistes privés et publics, inscrira la voiture dans une palette de solutions viables et durables.
La voiture dans la ville de demain. A quelles conditions et à quel prix ?
Léa MARZLOFF (Directrice « veille et analyse stratégiques » cabinet Chronos) commence par faire un état des lieux de la multi-modalité et de ses pratiques. En brossant le portrait des modes émergents de mobilité, elle distingue les pratiques qui se sont consolidées (covoiturage, location entre particuliers et vélo) des pratiques qui ont progressé (VTC, autopartage et trottinette) en Ile-de-France. Toutefois, ces mobilités émergentes restent concentrées dans les zones de forte densité urbaine : ce sont des phénomènes hyperurbains et hypermétropolitains. De fait, elle fait remarquer que seulement 51% des habitants de grande couronne déclarent que leur mode de transport est un choix alors que les habitants de Paris intramuros le déclarent à 89%. Ces données sont en corrélation directe avec la préférence donnée à la voiture : la grande couronne déclare à 74% avoir une préférence pour la voiture contre 37% des Parisiens intramuros. D’une manière générale, c’est l’aspect utilitaire de la voiture qui ressort de l’étude menée par Chronos. Les pistes d’avenir sont à chercher du côté du recours accru au vélo comme du côté du développement du partage automobile. Autre solution : rapprocher le lieu de travail du lieu d’habitation, aussi évident que cela puisse paraître. Nous savons aujourd’hui que l’occupation des places de stationnement sur la voie publique est majoritairement imputable aux voitures-ventouses des riverains. Il est possible d’entamer une réflexion sur d’une part le nombre de voitures circulant sur l’espace public (ce nombre sature les axes routiers), d’autre part la politique de stationnement à adopter (est-ce que réduire le nombre de places de stationnement rabattrait les automobilistes vers d’autres modes de déplacement ?).
De fait, Samuel BESNARD (Directeur de la prospective d’Indigo) rappelle à quel point le stationnement est un enjeu central dans la ville. Il souligne que la dynamique du stationnement est une courbe évoluant en fonction des heures de mobilité des actifs prenant leur voiture : cette courbe prend le nom de « moustache du stationnement » comme l’illustre le graphique ci-après. Dès lors, comment répondre à l’évolution des usages de la voiture particulière (immobile 90% du temps) en conciliant les exigences environnementales ? Indigo propose d’électrifier ses parkings pour permettre la recharge des véhicules électriques ; c’est une bonne direction de travail pour prendre en compte ces exigences.
Arnaud HARY (Directeur des concessions et du développement durable Sanef) affirme qu’une autoroute doit être durable. En ce sens, il sera nécessaire de construire des parkings de covoiturage. Ces emplacements seront rendus accessibles par des bus urbains par exemple. À cela s’ajoute une information en temps réel sur l’état du trafic, garantie par la mise en service de panneaux d’informations multimodaux. L’optimisation du choix de parcours via ces systèmes d’information multimodaux reste à généraliser en Ile-de-France. Sanef peut très bien imaginer à l’avenir réserver une « voie verte » d’autoroute à l’usage du covoiturage, des cars, des taxis…etc. Mais le covoiturage sur autoroute ne peut pas prétendre à lui seul résoudre tous les problèmes d’embouteillages, donc de jours perdus à l’année par les Franciliens dans leur voiture.
Paul LECROART (urbaniste à l’IAU Ile-de-France) met en perspective l’augmentation du nombre de véhicules et d’habitants en Ile-de-France. La région contient des zones très denses, des zones intermédiaires et des zones de faible densité de population en périphérie. Toutes les réalités de la mobilité doivent être prises en compte et ne pas donner la préférence à la voiture. Par le passé, la ville a été conçue autour de la voiture (d’où cet héritage d’un réseau autoroutier important). Cela a contribué à la ségrégation de l’espace, espace relié uniquement par les points de chute des autoroutes, au lieu de constituer un maillage continu favorisant l’alternance entre modes doux et modes durs. Toutefois, des exemples significatifs en Asie ou en Amérique latine montrent que la déconstruction des viaducs autoroutiers est possible. Une fois l’autoroute remise au sol, elle se métamorphose en boulevards intégrés aux réseaux de voirie. Il est ainsi possible de faire coexister les modes de déplacement durs (voiture) et doux (vélo, marche). En fait, l’autoroute crée l’effet d’aubaine : plus le réseau autoroutier est développé, plus on va vouloir l’utiliser. En France comme à l’étranger, la suppression des voiries rapides fait s’évaporer une partie du trafic. Exemple à Rouen, sur le pont Mathilde.
Gilles LEBLANC (Directeur de la DRIEA) confirme ce phénomène d’effet d’aubaine. Il met en avant l’augmentation de la circulation routière sur l’année 2015 qui est estimée à 2,2%. Au regard des années précédentes (environ 0,8%), ce chiffre est assez conséquent. Il faut avoir à l’esprit que plus de circulation entraîne davantage d’accidents, et que l’augmentation d’accidents de la route est corrélée à l’augmentation du rejet de CO2 dans l’atmosphère. En effet, les accidents, les embouteillages, les ralentissements, sont des zones particulièrement polluées et carbonées participant aux « îlots de chaleur urbains ». Ainsi, les arrêts et les redémarrages fréquents se traduisent par des taux de rejet de gaz à effet de serre plus élevés qu’à l’accoutumée. Cet usage (intensif) de la voiture répond à la faiblesse de la trame viaire en ce qui concerne le déplacement de proximité. Il est donc impératif de remédier aux coupures urbaines qui poussent les automobilistes à emprunter les autoroutes pour de petits trajets, ce qui congestionne davantage le trafic.
Elisabeth GAILLARDE (Directrice marketing Colas Ile-de-France Normandie) revient sur l’importante question de l’articulation entre circulation et stationnement. D’autant plus que les chantiers du Grand Paris se feront tous en même temps. La gestion de ces chantiers passe par une réponse collective déclinée en trois chapitres. Premièrement, éviter l’engorgement par l’optimisation de ses déplacements via une interface dédiée. Deuxièmement, informer les riverains en temps réel. Troisièmement, favoriser le transfert vers l’intermodalité (grâce à des systèmes d’information multimodaux) permettant l’utilisation de navettes autonomes, des transports en communs…etc.
Un enjeu de santé et de coût pour les franciliens ?
Le docteur Gilles DIXSAUT (Pneumologue à la Fondation du souffle et président du comité de Paris) commence par détailler les molécules constitutives de la pollution. Ces molécules sont aussi responsables des maladies neurodégénératives, conséquence non immédiatement envisagée de prime abord. Ce qu’il faut savoir des particules, c’est que plus le diamètre est petit, plus c’est dangereux : les particules entre 0,1 et 0,4 microns ne sont pas filtrées par notre appareil respiratoire et pénètrent donc dans les poumons et dans le sang. De plus, ces particules fines ont pour effet de libérer toute la potentialité des pollens quand elles rentrent en contact avec eux. Ipso facto, la cancérogénicité et l’inflammation des voies respiratoires vont de pair avec un milieu pollué. Grâce au matériel de mesure de la fonction respiratoire, il est démontré au cours d’une expérience menée à Londres que le fait de déambuler dans un milieu pollué n’améliore pas, voire dégrade, la fonction respiratoire tandis que déambuler dans un parc non pollué améliore la fonction respiratoire. L’assurance maladie estime à deux milliards d’euros les coûts de la pollution sur la santé publique, chiffre sous-estimé selon le docteur Gilles DIXSAUT.
Frédéric BOUVIER (Directeur d’Airparif) précise que le dioxyde d’azote (premier polluant) présent dans nos villes est lié à 70% au trafic routier. La concentration dans l’air à ne pas dépasser pour ce polluant en moyenne sur toute l’année est fixée à 40 µg/m3. Or, les sites les plus exposés en Ile-de-France tournent autour de 80 à 100 µg/m3. Les valeurs limites européennes devraient s’aligner sur celles de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour espérer contraindre l’Etat et ses préfets à mettre en place des plans d’action. Ce qu’il faut savoir, c’est que les molécules polluantes déposées sur la chaussée sont remises en suspension à chaque passage de voiture. Que ce soit par l’abrasion des routes ou le freinage des véhicules, la pollution est un problème inhérent au secteur du transport qu’il convient de repenser. Il est dès lors essentiel de comprendre les zones occupées par ces polluants invisibles dans notre espace car ils sont d’une nocivité quotidienne.
Pour ce faire, Jacques MOUSSAFIR (Président de ARIA Technologies) modélise des systèmes de calcul de la pollution atmosphérique prenant en compte la météorologie. Les capacités de calcul et de compréhension de la météorologie ont énormément progressé ces dix dernières années. Cela a permis de fabriquer des outils de compréhension de la pollution de l’air en couplant les échelles d’analyse des émissions locales aux émissions européennes, voire planétaires. En plus de la pollution chimique attaquant nos poumons et causée par le transport routier, la pollution sonore a elle aussi des conséquences sur la santé.
Fanny MIETLICKI (Directrice de Bruitparif) pointe du doigt les effets du bruit sur le stress. Six Franciliens sur 10 pensent que la pollution sonore a un impact sur leur santé. Les risques encourus par l’exposition quotidienne au bruit sont de plusieurs natures : auditif, gêne et trouble du sommeil, trouble de l’apprentissage et moins évident, risque cardiovasculaire. Il y a certes 25% de voitures en moins à Paris en comparaison à l’Ile-de-France, mais la part des deux-roues est en augmentation. Bruitparif propose de rassembler toutes les conséquences de la pollution sonore en une unité de mesure : les « années de vie en bonne santé perdues ». Le calcul de l’institut Bruitparif aboutit à une moyenne de sept mois de vie en bonne santé perdues au cours de notre vie sur la région Ile-de-France. Autre calcul, celui du coût afférent aux nuisances sonores : il est estimé à seize milliards d’euros. Penser la co-exposition à un air doublement pollué est dès lors une piste de recherche intéressante en vue d’apporter des solutions adéquates (revêtements urbains anti-bruit, voitures électriques...etc.)
Jean GABER (Directeur ville durable Cerema) apporte avec lui un dispositif capable de traiter l’air vicié par la pollution routière : les bacs de biofiltration. Les biofiltres se composent de granulats, de compost et de pouzzolane avec un système d’irrigation en circuit fermé. La biodégradation, c’est-à-dire la transformation en eau, en énergie, CO2 et en matière organique, se passe bien : les polluants sont métabolisés en grande partie. La technique est assez robuste ; pas de contamination des biofiltres. La biofiltration est en train d’être déployée à l’échelle des bâtiments à usage tertiaire pour traiter l’air vicié. Dans ces cas-là, les bioréacteurs ont la taille d’une photocopieuse. Le but est de tester l’efficacité de ce bioréacteur à petite échelle.
Quel véhicule pour demain ?
Grégoire OLIVIER (Directeur des services de mobilité Groupe PSA) fait le constat d’un désinvestissement de l’automobile dans toutes les grandes villes du monde (Shangai, Sao Polo, New-York, Paris…etc.). La moitié des automobilistes envisage d’abandonner leur véhicule à condition de trouver un service de mobilité de qualité et fonctionnel. Le public cherche un service de substitution fiable. Les concessionnaires commencent tout juste à louer des voitures mais le service de mobilité n’est pas concrètement défini. En d’autres termes, les industriels de l’automobile n’ont à l’heure actuelle pas de vente de services de mobilité à proposer. Grégoire OLIVIER souligne qu’aujourd’hui, ce qui fait défaut aux navettes autonomes en site propre ou en site contrôlé, ce n’est pas l’intelligence des capteurs mais plutôt la cartographie des réseaux routiers : aucun industriel n’est au point pour proposer une cartographie de l’extérieur à une précision centimétrique, bien que certains y travaillent.
Frédéric MATHIS (Directeur du programme véhicule chez Vedecom : Institut du véhicule décarboné et communicant et de sa mobilité) projette pour demain une voiture électrique, autonome et connectée. Cette voiture douée d’intelligence artificielle roulera moins vite pour éviter les accidents et de surcroît ne pas avoir à choisir entre sauver le piéton ou l’automobiliste. On parlera d’« écoconduite » pour qualifier la conduite intelligente et connectée au mobilier urbain : le véhicule pourra prédire que le feu passera au rouge et anticipera le freinage. Dans une situation de délégation de conduite, le conducteur pourra bénéficier d’une nouvelle gamme de services connectés de manière à occuper son temps de parcours. Par exemple, on peut imaginer la mise en réseau d’une application du type « Facebook des automobilistes ». Autre point très important : éviter le hacking. Le véhicule autonome aujourd’hui utilise très peu la connectivité mais ne pourra pas se passer éternellement de bandes passantes spécifiques. Ces bandes passantes devront jouir d’une sécurisation limitant au maximum les risques de hacking.
Pascal MAUBERGER (Président de l’AFHYPAC) parle du véhicule à hydrogène. Celui-ci s’inscrit dans le choix de la mobilité électrique. Un véhicule électrique est soit doté d’une batterie rechargeable, soit d’une pile à combustible. Dans le cas du véhicule à hydrogène, c’est la pile à combustible à son bord qui, au contact de l’oxygène, crée l’électricité permettant au véhicule d’avancer. Après la réaction chimique, ce véhicule rejette de l’eau par son pot d’échappement. Le véhicule électrique à batterie et le véhicule hydrogène à pile à combustible doivent être complémentaires. En effet, les flottes de taxi font un usage intensif de leur véhicule et doivent être capable de repartir en service très rapidement. La recharge à hydrogène leur conviendrait tout à fait puisqu’elle ne dure que trois minutes. Elle répond donc à l’usage intensif des taxis ou des utilitaires. Le véhicule propre de demain est une demande expressément formulée par le public, et le véhicule électrique (qu’il ait une pile à combustible ou une batterie) peut répondre à cette demande.
Olivier DUSART (Directeur territorial GRDF) affirme que la solution du véhicule propre, c’est aussi le Gaz Naturel pour Véhicule (GNV). Malgré une prédominance de solutions électriques, le gaz est particulièrement adapté pour des véhicules de plus de 3,5 tonnes (poids lourd, utilitaires) devant parcourir de longues distances. Les véhicules hybrides sont tout de même très envisageables dans un futur proche. La question de la filière de recyclage est également soulevée. La filière de recyclage du moteur thermique est maitrisée et vertueuse, ce qui est un atout pour le véhicule roulant au GNV, qui fonctionne avec un moteur thermique.
Marie CASTELLI (Secrétaire générale de l’AVERE France) reprend les déclarations précédentes concernant l’obligation de ne pas favoriser un mode de déplacement propre par rapport à un autre. Tous les usages sont complémentaires et doivent arriver à une mixité énergétique dans tout le secteur du transport. Le marché du véhicule électrique est en pleine croissance et pourra s’étendre grâce aux avancées technologiques de ces prochaines années. En effet, ce qui coûte cher dans un véhicule électrique, c’est sa batterie. Ce prix sera divisé par deux d’ici 2020. L’autre frein à l’achat d’un véhicule électrique, c’est le fantasme d’un temps de recharge rapide. Or, quand on sait qu’aujourd’hui les véhicules restent stationnés 90% du temps, il faut plutôt penser à rajouter des bornes de recharge sur les lieux de stationnement.
Olivier COMPES (Directeur Clients et Territoires d’Enedis Ile-de-France) rappelle qu’Enedis couvre 95% du réseau de distribution électrique du territoire. Ni le gaz naturel ni l’hydrogène ne sont un problème pour Enedis, fournisseur de matériel d’appoint tels que les compresseurs électriques, les pompes électriques…etc. En d’autres termes, Enedis distribuera l’alimentation électrique nécessaire au bon fonctionnement des infrastructures. Toutes les solutions seront accompagnées pour garantir la transition énergétique. Le plan bus électrique de la RATP est d’ailleurs soutenu par Enedis. L’enjeu, c’est de sécuriser les alimentations de chaque utilisateur de sorte qu’aux heures pleines d’utilisation par les particuliers, le réseau de distribution ne privilégie pas les uns au détriment des autres. Les questionnements sont de taille pour dimensionner les réseaux de distribution aux besoins des consommateurs et créer des boucles adéquates.
Voiture et autres mobilités : une cohabitation contraignante ou séduisante ? L'intermodalité et les nouveaux usages.
Jean ZERMATI (Directeur adjoint flotte entreprise d’Orange) voit spontanément que les véhicules qui ne bougent pas représentent un gâchis économique et social. C’est pourquoi Orange a voulu tester avec cent véhicules sur trois sites régionaux l’autopartage pour ses salariés. Il a pu constater que les usages se différencient dans les trois régions testées : Ile-de-France, Provence-Alpes-Côte-D’azur et Bretagne. C’est donc du sur-mesure, adapté aux usages des automobilistes, qu’il convient d’étudier pour ne pas précipiter la mise en place de solutions éloignées des usages réels. S’il est vrai qu’Orange ne voit pas de bénéfices pécuniaires immédiats, l’entreprise est convaincue qu’il faut investir pour économiser à terme.
Cette expérimentation d’entreprise va dans le bon sens mais elle est loin de refléter la réalité de l’autopartage pour Nicolas LOUVET (Directeur du bureau de recherche 6t), qu’il qualifie de « mode de transport de niche ». Il y a certes 100.000 utilisateurs Franciliens d’autolib’, mais le potentiel de l’autopartage au regard de l’offre qualité-prix-densité en Ile-de-France est largement sous-exploité. Les offres manquent de visibilité et aucune politique publique ne va dans le sens de l’incitation à souscrire à cette pratique. Au-delà de l’autopartage, les voitures-ventouses, c’est-à-dire les voitures immobiles, représentent une gêne pour le partage du stationnement : il conviendrait d’envisager la sanction de cet accaparement de la chaussée qui se fait au détriment des voitures mobiles.
Marc PELISSIER (Président de l’AUT Ile-de-France) nuance le remède unique consistant à augmenter le prix du stationnement, bien que cette solution soit une piste parmi d’autres. Les voitures-ventouses constituent un vrai problème, mais ce qui reste central dans la mobilité d’un Francilien aujourd’hui c’est le réseau ferroviaire lourd. Il n’est pas possible d’améliorer la qualité du trajet des Franciliens sans remédier à la vétusté et à la saturation des lignes ferroviaires. L’intermodalité de demain doit nécessairement comprendre la centralité du transport ferroviaire. D’ailleurs, un grand nombre d’usagers aimeraient se rendre à leur gare en vélo, mais faute de parkings à vélo sécurisés, ils abandonnent cette possibilité. La solution Véligo reste timide et peu répandue. En somme, le vélo rencontre trop d’obstacles (vols, manques d’infrastructures) pour espérer se démocratiser rapidement.
Charles MAGUIN (Président de l’association Paris en selle) partage le constat concernant la condition du vélo aujourd’hui. Il soulève le manque d’incitations financières à l’achat d’un vélo. Il fait également remarquer que l’aménagement cyclable se doit d’être rassurant : beaucoup de personnes interrogées font part de leur crainte à prendre le vélo car les voies cyclables ne sont pas toutes propices à une activité cycliste dégagée de dangers. Il fait noter que les bus frôlent souvent les cyclistes à Paris.
A ce propos, Marie-Claude DUPUIS (Directrice du département matériel roulant bus RATP) souligne le fait que bus, vélos et taxis « cohabitent » sur la chaussée. Le bus doit certes être encouragé mais le non-respect des horaires annoncés, souvent dû aux voitures garées sur les couloirs de bus, entrave cette pratique. La RATP met en œuvre un « plan bus » qui d’ici 2020 prévoit 80% de bus électriques et 20% au GNV pour rendre plus attractif son usage, le GNV étant plus adapté pour la flotte de bus en périphérie de Paris. Les technologies de véhicules propres s’articulent autour de la réflexion sur l’installation des infrastructures : recharger une flotte de bus au GNV comprend des consignes de sécurité très strictes car cela implique des espaces spécifiques à sécuriser. Les centres-bus à l’extérieur de Paris sont plus à même de répondre à ces règles de sécurité. De la même manière, recharger une flotte de bus à l’électrique induit de concevoir l’infrastructure de ravitaillement correspondante qui soit viable.
Brice BOHUON (Directeur des services Transilien) retrace l’historique du réseau cycliste francilien pour faire comprendre son sous-développement en comparaison avec Hong-Kong ou le Japon par exemple. Aujourd’hui, un abri à vélos coûte cent mille euros ; on comprend mieux l’intérêt de réfléchir aux lieux d’implantation des Véligos pour que le taux de remplissage soit optimal. Dans toute l’Ile-de-France, trente abris sont d’ores et déjà opérationnels ; fin 2017 ils seront au nombre de cinquante. Toutefois, si aller à la gare avec son vélo est envisageable par tous, cela n’implique pas le même temps d’attente au sein de sa gare si l’on habite en grande couronne ou si l’on habite en petite couronne. De fait, il faut se poser la question de l’aménagement de la gare, voire des wagons, pour permettre aux voyageurs de faire du télétravail. Réussir à changer les mentalités sur le rapport au « temps utile » dans les déplacements fournit une piste de plus à exploiter pour rendre flexibles les heures de travail.
Jean FAUSSURIER (Directeur accès au réseau SNCF Réseau) et Nicolas LOUVET ne disent pas autre chose : le temps de déplacement n’est pas un temps perdu. Le paradigme doit changer pour accepter l’idée que sur un temps de déplacement, il est possible d’être productif (corriger des copies pour un professeur) comme il est possible d’être détendu et de se divertir (écouter de la musique). Brice BOHUON ajoute que le changement de paradigme ne fait pas tout : encore faut-il se donner les moyens de faire du télétravail. Le co-working, c’est dire que la présence au bureau n’est pas obligatoire mais l’environnement propice au travail peut se retrouver dans un espace aménagé de sa gare. La SNCF a déjà commencé avec son centre de Nantes où il est possible de faire de la vidéo présence. La SNCF seule ne règlera pas le problème : le soutien et la participation des associations, des voyageurs et des pouvoirs publics sont essentiels. Le premier public susceptible de bénéficier de ces aménagements horaires sont les cadres pouvant négocier auprès de leur direction. D’ailleurs, Jean FAUSSURIER indique que la rotation d’une petite partie des voyageurs de « l’hyperpointe » sur des trains en dehors des heures de pointe réduirait significativement les retards. Prendre un train non saturé serait un gage de fiabilité et de robustesse d’une ligne. L’enjeu est collectif et consiste à rendre le système ferroviaire résilient. Ces expériences ont déjà été menées et se soldent toujours par un succès.
Clotûre du colloque par Chantal JOUANNO
Au terme de notre colloque, l’objet-voiture apparait désormais comme protéiforme, plurifonctionnel et ajustable aux exigences de mobilité différenciée des Franciliens. Protéiforme comme les énergies alternatives capables de le faire avancer (électricité, gaz, hydrogène…etc.), plurifonctionnel comme les services proposés autour de la voiture (autopartage, covoiturage, location…etc.) et flexible comme le choix de prendre ou non son véhicule pour réaliser son trajet.
Son avenir est celui d’une coexistence avec les modes doux et les autres modes durs de transport. Son avenir est aussi celui d’une mutualisation du parc automobile global. Corollaire logique, son avenir est celui de la naissance d’un modèle économique du véhicule durable qui abandonne l’économie reposant sur l’utilisation des énergies fossiles et la production incessante d’automobiles.
Redéfinir la place de la voiture en Ile-de-France, c’est laisser aux vélos et aux pistes cyclables le soin de sortir les voyageurs de leur sédentarité pour gagner en santé. Pour cela, les autorités et les exploitants des transports en commun devront prendre en compte les attentes des cyclistes, dont le besoin de rouler partout ne trouve pas d’offre adéquate dans les infrastructures des transports en commun (ascenseur de gare à redimensionner, emplacements à vélos dans les rames à systématiser, parkings à vélo sécurisés à multiplier).
Comprendre les comportements des automobilistes, c’est se donner les clefs pour agir en conséquence, en leur conférant la possibilité d’utiliser la voiture en complément de parcours multimodal plutôt qu’en un seul trajet monomodal. Les autoroutes urbaines ne sont pas la solution du futur. Remettre tout le réseau routier au sol, comme cela a déjà été le cas dans d’autres pays, aurait pour effet d’interconnecter les axes routiers, les modes de déplacement et de fait les territoires. Rendre complémentaires, mixtes et résilients les moyens de se mouvoir dans une région aux équipements multiples : voilà qui implique de ne pas défendre mordicus sa position technique et technologique comme panacée universellement applicable en chaque zone de densité urbaine francilienne. Réussir à mailler les modes de transports durs aux modes doux induit une concertation de chaque instant entre professionnels, pouvoirs publics et société civile dans l’optique de proposer les bonnes solutions aux questions de mobilité.
Basculer dans le nouveau monde du bas carbone et du tout-renouvelable n’est pas une contrainte mais une formidable opportunité amenant les protagonistes du privé, les agents du service public, les acteurs politiques et les citoyens à dialoguer entre eux, à échanger et à renouveler le système de transport quotidien des Franciliens, pour un futur partagé et responsable.
Télécharger la synthèse du colloque
Synthèse rédigée par Pierre GIAMBELLUCA
Sous la responsabilité de Dominique DUVAL et Yann EPSTEIN
Photos : Jean-François GILLOIRE