CLIMAT, AIR ET ÉNERGIE
Vers la transition énergétique : des projets et des actions pour l'Ile-de-France
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Face aux conséquences du changement climatique qui surgissent partout dans le monde, la gestion économe de l’énergie constitue un défi majeur pour préserver la planète et le cadre de vie des générations futures. Mais comment mener à bien cette transition vers un nouveau modèle énergétique ? FNE Ile-de-France s’est saisie de cette question. La fédération d’associations a organisé, le 21 novembre, à la Halle Pajol dans le nord de Paris, une journée d’échanges sur les projets et initiatives locales et citoyennes. À cette occasion, associations, décideurs et énergéticiens se sont retrouvés lors de conférences et d’ateliers sur les enjeux de sobriété et d'énergies nouvelles.
Publié en octobre, le rapport du Giec, le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat, est formel. Il faut agir vite - d’ici 2020 - pour limiter la hausse des températures mondiales à 1,5°C. Pour y parvenir, le constat est simple : « Nous ne pouvons pas rester dans une société dont le développement dépend des énergies fossiles », souligne Thierry Hubert, président de FNE Ile-de-France. « Il est temps d'agir de façon concrète et efficace et de soutenir toutes les innovations qui faciliteront la transition énergétique. »
« C’est un événement qui se tient dans un moment très particulier, un moment où s’ouvre une fenêtre unique de mobilisation de l’opinion publique autour de cette question », relève, en ouverture de la journée, Célia Blauel, maire-adjointe de Paris, en charge des questions environnementales et du plan Climat-énergie territorial. Car, de plus en plus, l’enjeu climatique mobilise. Face à cet énorme challenge, chaque pas compte : celui des experts et des spécialistes qui apportent leurs éclairages et leurs solutions ; celui des collectivités qui planifient cette transition énergétique - et qui fait de Paris, aujourd’hui, « la seule ville au monde à avoir intégré la notion de neutralité carbone » - et celui, indispensable, des citoyens qui, toujours plus nombreux, font fleurir les initiatives, partout dans la région.
La transition énergétique, quésako ?
« La transition énergétique vise à préparer l’après pétrole et à instaurer un modèle énergétique robuste et durable face aux enjeux d’approvisionnement en énergie, à l’évolution des prix, à l’épuisement des ressources et aux impératifs de la protection de l’environnement. »
Ministère de la Transition écologique et solidaire
Au cours de la journée, deux chiffres sont revenus à plusieurs reprises dans les débats. 60 % des citoyens et 46 % des élus ignoreraient ce qu’est la transition énergétique. En effet, seuls
54 % des élus la considèrent comme une politique volontariste et prioritaire à long terme et ont une vision précise de la consommation énergétique de leur ville, selon le sondage Les maires et la perception de l’efficacité énergétique, réalisé par l’Ifop pour Effy, en octobre 2018. Un chiffre conséquent qui montre l’ampleur de la sensibilisation à mener pour faire prendre conscience à tous de l’urgence climatique.
Petit à petit, la transition fait son nid
« L’Ile-de-France est très dépendante des énergies fossiles. 62 % de l’énergie vient du gaz, du fioul, du charbon, 30 % de l’électricité et 8 % des énergies renouvelables locales. » En ouverture de cette journée, Catherine Lescure, déléguée régionale Île-de-France d’EDF, rappelle l’étendue du chemin à parcourir. Un chemin long, certes, mais dont les premières étapes sont déjà connues avec l’adoption, en 2012, du schéma régional climat-air-énergie. Ce dernier a trois objectifs principaux : « la réduction, en bonne trajectoire, de 20 % de la consommation d’énergie en 2020, la réduction de 28 % des émissions de gaz à effet de serre, et l’augmentation à 11 % de la part d’énergie renouvelable. Un dernier objectif qui ne sera probablement pas atteint », explique Aurélie Vieillefosse. Pour la directrice adjointe de la Direction régionale et interdépartementale de l’environnement et de l’énergie en Île-de-France (DRIEE), ces objectifs semblent cohérents avec la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, adoptée en 2015.
Mais comment y arriver ? « Cela passe par le mieux-consommer, la décarbonation des modes de transports et la favorisation du développement des énergies renouvelables », indique Catherine Lescure. Le transport, plus grand émetteur de gaz à effet de serre en France, est souvent pointé du doigt en premier. « Il faut d’abord se tourner vers le transport électrique, qui n’émet pas de CO2, affirme la représentante d’EDF, interrogée par la salle sur le bien-fondé de la voiture électrique. On croit aussi beaucoup au transport à l’hydrogène, qui sera une solution pour les longues distances. »
Quant aux énergies renouvelables, la géothermie, la pompe à chaleur et la biomasse semblent particulièrement bien réussir à la région. La méthanisation, le photovoltaïque et l’éolien sont au contraire en retrait. « Depuis un an, les choses bougent », rassure Aurélie Vieillefosse, qui souligne aussi l’importance de l’ouverture des données à tous, de la planification et de l’approche territoriale pour mener à bien la transition francilienne.
« Il n’y a pas de solution unique », complète-t-elle. D’autant plus que le territoire francilien est composé à la fois d’une grande métropole et de zones rurales, où les enjeux et les possibilités sont différents : « Pour l’instant, nous n’arrivons pas à avoir des discussions différentes sur les zones agglomérées et la campagne, regrette la directrice adjointe de la DRIEE. Par exemple, est-ce que l’électrique est plutôt pertinent à la ville et le diesel à la campagne ? » Le débat est ouvert.
« À nous, les convaincus, les motivés de la transition énergétique, de bâtir des coalitions de plus en plus larges pour avancer ; à nous, les convaincus, les motivés, de questionner, secouer, bouleverser les cadres en place ; à nous, les convaincus, les motivés, de poser les jalons d’une société plus sobre dont les maîtres-mot sont décarbonation, relocalisation et partage. » |
Quid de l’Ile-de-France dans douze ans ?
Qu’en sera-t-il de la consommation et de la production d’énergie renouvelable dans la région en 2030 ? Les ambitions de la transition énergétique de la région Île-de-France : vision multi-énergies - une étude menée par RTE, GRTgaz, Enedis, GRDF, l’Ademe Ile-de-France et l’Institut d’aménagement et d’urbanisme (IAU) - dresse un tableau des perspectives à l’horizon 2030. « C’est la première fois que tous les acteurs, les représentants de l’énergie se réunissent, partagent leur expertise, explique Nathalie Lemaître, directrice de la mission Grand Paris chez Réseau transport électricité. Nous proposons aux pouvoirs publics des visions qui peuvent les guider dans leur choix. »
Deux scénarios s’y côtoient, modélisés à partir de données de 2015. Le premier est « volontariste », le second « ambitieux » ; ce dernier prévoit le remplacement rapide des équipements énergivores et la rénovation thermique de 125 000 logements, de six millions de mètres carrés de tertiaire par an et le déploiement de 90 000 véhicules bioGNV. Cela permettrait d’atteindre, en 15 ans, une réduction de 17 % des consommations d’énergie (186 TWh en 2030 contre 225 TWh en 2015) et un taux de verdissement du mix énergétique consommé de 40 %.
Pour y parvenir, mieux vaut s’appuyer sur les spécificités de la région. « On doit trouver ensemble des solutions locales, la diversification est importante », ajoute Marie-Laure Falque Masset, directrice énergie-climat chez l’Arene Ile-de-France, dont les missions sont de défricher, mobiliser, accompagner et valoriser les projets de transition énergétique. En Île-de-France, la géothermie, avec la nappe du Dogger, a un fort potentiel (lire ci-dessous), tout comme l’hydrogène, dont un plan régional pourrait voir le jour l’an prochain.
Mais cela ne suffit pas. L’Arene dresse une liste des facteurs plus ou moins bénéfiques au développement des énergies renouvelables. « Le portage politique, les passeurs d’innovation, les leaders motivés, le statut à donner à chaque acteur, sont des leviers », énumère Marie-Laure Falque Masset. Face à cela, la complexité des jeux d’acteurs et des dispositifs ou l’absence de portage politique sont au contraire des freins.
La dimension sociale est incontournable pour aboutir à ce changement de modèle. « La transition énergétique peut être une composante sociale du territoire, insiste Michel Gioria, directeur régional Ile-de-France de l’Ademe. On a sous-estimé la dimension sociale. Qui va gagner et perdre des emplois ? Comment organise-t-on la formation ? C’est important de mettre en avant les tensions afin de mettre les bonnes personnes autour de la table et de les dépasser. » Alors que la fracture territoriale peut être préoccupante, retisser du lien apparaît comme la meilleure des options pour définir un nouveau modèle énergétique.
100 % d’énergie renouvelable en Ile-de-France. C’est l’objectif fixé, à l’horizon 2050, par la Région dans sa stratégie énergie-climat adoptée en juillet 2018. Celle-ci prévoit l’importation de la moitié de cette énergie. Sont également prévues la réduction de 40 % de la consommation énergétique régionale et la multiplication par quatre de la quantité d’énergie renouvelable produite sur le territoire francilien. |
Au cœur du changement, des ressources naturelles mais aussi humaines
Si certains en doutaient, l’Ile-de-France a bien plus d’un tour dans son sac. « La région a un potentiel important, même s’il existe des contraintes techniques et réglementaires », confirme Marion Lettry, déléguée générale adjointe du Syndicat des énergies renouvelables, qui regroupe près de 400 entreprises développant des projets des différentes filières renouvelables.
Si l’électricité - avec le solaire, l’éolien et l’hydroélectricité - est une piste majeure à travailler, « la chaleur est un enjeu important. Elle représente 50 % de notre consommation énergétique et 80 % est produite avec des énergies fossiles », ajoute-t-elle. Parmi les pistes, la géothermie, déjà fortement utilisée. Quant à la biomasse et la méthanisation, « il y a énormément d’efforts à réaliser avec le monde agricole et les collectivités. Le potentiel est bien présent en Île-de-France, mais on manque encore de projets concrets. »
Et si les ressources de l’Île-de-France n’étaient pas que naturelles mais aussi humaines ? « On évolue vers un monde où chacun doit se réinterroger. À Enedis, nous recevons aujourd’hui de nombreux projets, ce qui signifie que le citoyen s’empare de la question. Avec plus de données disponibles, nous donnons les moyens au consommateur de devenir acteur de sa vie », souligne Christophe Donizeau, coordinateur Enedis pour l’Ile-de-France.
Car c’est avant tout en sensibilisant et en impliquant les citoyens que la transition énergétique sera possible. « Accompagner le changement de comportement est un challenge. Il faut expliquer et avoir ce rôle de pédagogie de terrain », détaille Anne Girault, directrice générale de l’Agence parisienne du climat, dont la mission est d’accompagner les grands chantiers et être le laboratoire de la transition énergétique. Et quoi de mieux pour cela que démonter les éco-bénéfices, « économiques, sociaux, patrimoniaux, en termes de santé ou même de mode » d’un programme ou d’un projet.
« Le citoyen a sa place, souligne Olivier Berland, animateur d’Énergie partagée en Ile-de-France. L’impliquer dans le projet permet une création de lien, une meilleure acceptabilité, une minoration de l’impact environnemental. » Son mouvement accompagne les projets citoyens, ces projets qui rassemblent les habitants, les territoires, les collectivités et « dont une quinzaine a déjà vu le jour en Ile-de-France ». Le concept séduit de plus en plus, car il favorise la démocratie locale, l’éducation populaire et permet aux citoyens et aux communes de bénéficier des retombées économiques d’un projet vert.
Comment construire la transition énergétique de demain ?
Les participants des ateliers font leurs propositions
Maîtriser la consommation énergétique et soutenir les initiatives citoyennes
Atelier 1
Encourager la prise de conscience et la volonté d’agir du citoyen
Créer du lien social à travers les projets
Sensibiliser en ayant conscience que le citoyen manque de temps
Exiger des collectivités qu’elles montrent l’exemple
Veiller au risque d’une parcellisation de la production d’énergie
Atelier 2
Encourager les initiatives citoyennes
Partager la responsabilité des projets de production d’énergie
Travailler en réseau d’acteurs (associations, élus, habitants) pour faire avancer concrètement la transition énergétique
Inciter les citoyens à rediriger leur épargne vers les projets verts
Proposer des solutions innovantes en matière de production énergétique et de remédiation par la nature
Atelier 1
Articuler les solutions de remédiation avec la biodiversité
Diversifier les solutions pour éviter la pression sur l’une d’entre elles
S’adapter au territoire
Opter pour des solutions basées sur la nature, souvent moins coûteuses
Obtenir le soutien des élus et de la Région
Atelier 2
Favoriser l’agroécologie, dont la méthanisation est une application concrète
Développer davantage de projets de méthanisation pour le moment portés par les agriculteurs
Utiliser le biogaz au service des mobilités
Comment accepter de changer de modèle ?
« Au-delà du plan (la stratégie énergie-climat), certains points sont essentiels quant à l’acceptabilité de la transition énergétique et de la transition écologique. Comment agit-on pour que le changement ne soit pas vécu comme une contrainte mais comme quelque chose de positif, qui soit, au fond, la garantie d’un mieux-vivre ? Le travail sur la prise de conscience des enfants est essentiel. La démultiplication des projets citoyens permet aux gens de devenir acteurs de la transition énergétique, de s’emparer de ces sujets. Et le rôle des élus est d’être responsables, d’expliquer et de sortir des postures, qui parfois par simplicité, parfois par lâcheté, parfois par bêtises, sont aujourd’hui criminelles par rapport à l’histoire. »
Extraits du discours de clôture de Jean-Philippe Dugoin-Clément, vice-président du conseil régional d’Ile-de-France.
Dossier réalisé par Toinon DEBENNE, journaliste