AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE ET URBANISME
La Métropole du Grand Paris (MGP) que nous voulons
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Métropole capitale de notre pays, la MGP est située au centre de la plus petite région française et au cœur du Bassin parisien. De tout temps, centre de pouvoirs et d’activités, elle a attiré provinciaux et étrangers. Récemment, en raison de transports plus rapides, son attractivité salariale s’est accrue fortement dans un rayon de 100 km contribuant ainsi à appauvrir toutes les villes situées dans cette aire.
Enfin, c’est la métropole capitale la plus densément peuplée d’Europe, deux à trois fois plus que Londres ou Berlin et la moins riche en espaces de nature, quinze fois moins que Rome. C’est pourquoi, notre fédération d’associations de protection de l’environnement s’interroge sur la stratégie de développement de cette nouvelle collectivité.
Alors que le bien-être des habitants devrait être l’objectif primordial, la trop grande complexité administrative de la Métropole (131 communes, 4 départements, 12 territoires…) nous pose question sur son adaptabilité au changement climatique, sa capacité à surmonter les crises (inondations, épidémies…). Mais, c’est surtout l’absence de dialogue avec les citoyens sur la stratégie des décideurs politiques et la cohérence des projets qui nous inquiète.
Promouvoir le bien-être des habitants
Quel sens a la métropole si elle ne se fixe pas pour objectif le bien-être de ses habitants ? Pour garder le cap, il nous faut trouver de nouveau marqueurs de la qualité de vie.
La commission des prix Nobel d’économie, animée par Joseph Stiglitz, en 2008, a défini, à la demande du gouvernement, un certain nombre d’indicateurs pour évaluer le bien-être d’une population que le seul Produit intérieur brut ne permet pas de déterminer. Trois principes sont retenus : la prise en compte des ménages dans l'analyse économique, la mesure de la qualité de vie et le développement durable.
Pour l’OMS, la santé urbaine doit prévenir trois menaces : la propagation des maladies infectieuses transmissibles (VIH, tuberculose, grippes…), la propagation des maladies non transmissibles liées pour la plupart à l’environnement (asthmes, diabètes, maladies cardio-vasculaires, cancers…), l’augmentation des violences (agressivité et délits) et traumatismes (accidents) liés à la densité de l’habitat et aux déplacements motorisés.
Ces approches objectives du bien-être et de la santé permettent-elles d’améliorer la décision politique prise au nom de l’intérêt général, telle que la création d’une grande Métropole ? Rien n’est moins sûr, car la gouvernance du projet Grand Paris perpétue le modèle jacobin de l’intérêt général issu du sommet de l’Etat sans tenir compte de l’opinion des citoyens, même si quelques instances consultatives permettent de masquer cette carence démocratique.
Le Conseil d’Etat s’est penché, en 1999, sur cette notion d’intérêt général ou volonté générale. Il propose que ses finalités soient mieux définies et que la démocratie participative soit développée afin que l’universel l’emporte sur les particularités. Une approche ancienne de l’universel, le bien commun, réapparaît pour s’appliquer à des éléments tels que l’eau, l’air, le sol, la nature, les océans…. Une métropole du bien-être et de la santé combinant à la fois l’intérêt général universel et le bien commun est notre souhait de citoyens engagés.
Maintenir le cap du développement durable
Depuis 2016, la Métropole du Grand Paris monte en puissance en prenant de nouvelles compétences. Il ne faudrait pas que ce soit au détriment de l’environnement. Attention de ne pas fournir aux édiles municipales l’occasion de persévérer dans un détournement du droit de l’urbanisme, en utilisant les PLU comme unique outil de gestion du foncier.
La modification du droit des collectivités territoriales pour la Métropole du Grand Paris (périmètre et compétences), pourrait, en l’absence de transformation symétrique du droit de l’urbanisme pour en maintenir la cohérence, mettre à mal un siècle de consolidation et de simplification. Il ne faudrait pas, que l’affirmation des droits de l’urbanisme et de l’environnement, qui déterminent la fixation des règles d’utilisation du sol par les plans d’aménagement territoriaux, soit remise en cause. Compte tenu de la prévalence de ces plans sur les contrats dans la hiérarchie des normes, ce sont les seuls droits à même de satisfaire aux exigences d’intégration du développement durable parce que ces plans sont fondés sur une approche topologique.
Trois droits sont au service des citoyens pour veiller au cap du développement durable.
Le droit de l’urbanisme
Depuis le début du XXème siècle, le droit de l'urbanisme se développe pour permettre la mise en œuvre d’un projet territorial coordonné à un niveau intercommunal pertinent. En décembre 2000, la loi SRU introduit le Projet d’aménagement et de développement durable comme document de base des plans locaux d'urbanisme (PLU) et des schémas de cohérence territoriale (SCOT). Mais cette logique de planification à deux niveaux n’a que rarement été mise en œuvre ; le plus souvent et très majoritairement en Région Île-de-France les maires ont reporté sine die l’élaboration des SCOT pour utiliser le PLU comme outil de gestion du foncier. Il en résulte que les PLU sont fréquemment modifiés pour permettre la réalisation de projets immobiliers, ou autres, qui n’avaient pas été envisagés.
Le droit de l’environnement
Il est imbriqué avec le droit de l’urbanisme : la trame verte et bleue est définie dans le Schéma régional de cohérence écologique (SRCE), document qui relève du Code de l’environnement, mais surtout l’urbanisme opérationnel est aussi soumis au Code de l’environnement.
Les projets doivent être compatibles non seulement avec le PLU mais aussi avec le SRCE. S’ils sont déclarés d’intérêt général, les projets entraînent la mise en compatibilité du PLU. Une procédure d’enquête conjointe est mise en place quand la déclaration d’intérêt général d’un projet est attendue et que le PLU ne permet pas sa réalisation.
Le droit de l’environnement est, à l’image du droit de l’urbanisme, l’objet d’une simplification avec maintien du niveau de protection.
Le Code général des collectivités territoriales
Ce Code définit l’organisation, les compétences et les moyens des collectivités territoriales. Il est en forte imbrication avec les Codes de l’urbanisme et de l’environnement.
Il a été modifié, en janvier 2014, par la loi de modernisation de l’action publique et d’affirmation des métropoles, dite loi MAPTAM, définissant celles-ci comme établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). Cette modification tient compte de l’émergence de liens entre les métropoles et le monde qui dépassent les limites régionales.
Le Code des collectivités territoriales attribue la compétence SCOT à la Métropole du Grand Paris.
Gouverner c’est associer
A l’heure de la ville intelligente et de la gestion algorithmique, qu’en est-il de la gouvernance ? En ce qui concerne la métropole beaucoup de chemin reste à faire pour mettre le citoyen au centre.
La Métropole du Grand Paris est illisible, souvent confondue avec le nouveau métro automatique elle est perçue par nos concitoyens les plus attentifs comme une tranche supplémentaire du mille-feuille institutionnel. L'élection des conseillers métropolitains au suffrage universel direct, prévue pour 2020, pourrait lui donner la visibilité qui lui manque.
Pourtant, la démocratie représentative n'est pas tout. Actuellement, la société civile n'est représentée qu'à travers le conseil de développement (CODEV), qui regroupe des citoyens tirés au sort et des « personnalités qualifiées » nommées par le président. Ce mode de désignation, qui fait la part belle au développement économique, n'est pas satisfaisant. Les forces vives de la société, dont les associations de défense de l'environnement, devraient pouvoir choisir leurs représentants. Par ailleurs, rares sont les territoires dans lesquels des conseils de développement ont été mis en place. Ces instances sont pourtant indispensables pour faire vivre une démocratie de proximité.
Enfin, les citoyens doivent être associés à tous les projets d'aménagement du territoire, très en amont de leur réalisation. C'est la seule façon de prévenir les conflits et de valoriser l'intelligence collective. Dans le même esprit, la Métropole gagnerait à soutenir les initiatives citoyennes. La mise en place de pratiques innovantes est souvent le fait d'usagers regroupés au sein d'associations spécialisées. Le développement des circuits courts (Amap), d'une économie du partage (monnaies locales), des biens communs numériques (logiciels libres)... sont de bonnes pratiques à valoriser.
Développer la nature en ville
Maintenir et développer les espaces naturels et l’agriculture dans la métropole, comme une composante de l'urbanisme, pourrait changer beaucoup de choses. Il n'est pas trop tard.
Les espaces naturels et agricoles des 131 communes de la métropole sont constitués de 5 965 ha de bois et forêts, 6 535 ha de parcs et jardins, 923 ha de jardins familiaux et de jardins de l’habitat individuel, 1 620 ha de terres labourées (MOS 2012, IAU). En 2000, près de trois cents agriculteurs exerçaient dans le périmètre des 131 communes de la Métropole. Si l’on ne tient pas compte des terrains de sports, de jeux, voire des cimetières, ces espaces naturels représentent 18 % de la surface métropolitaine et 20 m2 par habitant et sont malheureusement mal distribués puisque situés principalement aux franges externes de la métropole.
Des services rendus par les milieux naturels en métropole
Face aux nécessités d'adaptation au réchauffement climatique, d'atténuation des émissions de gaz à effet de serre et de préservation de la biodiversité, les solutions fondées sur la nature sont les plus pérennes et les moins coûteuses. Les services rendus par les sols vivants, les végétaux, les milieux humides et les eaux vives en ville sont irremplaçables. Les lits majeurs de la Seine, de la Marne, de l'Oise, de la Bièvre et des différents cours d'eau et rus franciliens ainsi que les pénétrantes agricoles et les îlots agricoles dans les milieux urbains en Seine-Saint Denis (Coubron, Tremblay…) et en Val-de-Marne (Périgny, Noiseau…) doivent à être préservés. Les perturbations climatiques, de plus en plus fréquentes et destructrices, nécessitent de ne pas construire en zone inondable, de ne pas imperméabiliser les sols, de préserver les sols vivants.
De nombreuses études épidémiologiques conduites dans des pays de l’OCDE ont montré que les urbains vivant à 10 minutes de marche à pied d’un espace de nature important étaient en meilleur santé que ceux qui en étaient éloignés (OMS). Tout projet de consommation d’espace naturel doit faire l’objet d’une analyse économique sur le long terme. Les chiffrages fournis, à la fois, par le Sénat (pollution de l’air), l’Assemblée nationale (nuisances sonores) et la Banque mondiale (destruction des espaces naturels) montrent, qu’en milieu densément peuplé, cette consommation d’espaces naturels n’a aucun intérêt économique.
Proposer un autre Grand Paris
Il y a deux façons de concevoir la métropole. Soit comme un bassin d'emploi unifié, soit comme un ensemble de sous-bassins suffisamment autonomes pour avoir une dynamique propre. En matière de transports, la première approche conduit au Grand Paris Express. La seconde privilégie les dessertes locales afin de renforcer les pôles secondaires et d'éviter l'étalement urbain en tache d'huile. En référence aux travaux de l'architecte-urbaniste Christian Devillers1, nous exposons ici quelques déterminants de cette problématique d'aménagement régional.
L’aménagement du territoire doit partir des besoins des populations. On en déduit alors des offres d’activités et d’équipements, notamment de transports. Dans les villes nouvelles franciliennes, on veillait à l’équilibre des fonctions : quand l’implantation d’entreprises ralentissait, on retardait la production de logements, afin de conserver l’objectif d’un taux d’emploi de 1 : autant d'emplois que d’actifs.
Le Grand Paris procède à l'envers : au réseau existant à bout de souffle, il rajoute le Grand Paris Express (GPE), 200 km de nouvelles lignes de métro, supposé induire l'aménagement de la Région en comptant sur une densification autour des gares du GPE. C'est une triple erreur !
D'abord, la Mégapole du Grand Paris est beaucoup trop vaste pour pouvoir fonctionner comme un bassin d'emploi unifié, le plus souvent les lieux d’habitation et de travail sont éloignés. L'agglomération ne peut s'organiser efficacement que de façon polycentrique avec une priorité aux dessertes de proximité plutôt qu'aux liaisons de transit entre pôles d'activité, dont le trafic représente seulement 3 % de l'ensemble des déplacements.
Réduire les inégalités environnementales
Ensuite, depuis que la mobilité a été facilitée par les progrès technologiques et le faible coût de l'énergie, on ne peut plus structurer la ville par les transports. La création d'une nouvelle ligne induit une modification de l'agencement urbain : les acteurs de la ville (ménages, entreprises) profitent de la vitesse de déplacement accrue pour se relocaliser. Cela entraîne l'étalement urbain (la périurbanisation) et une plus forte spécialisation de l'espace, tant fonctionnelle (séparation accrue des lieux d’activité et de résidence) que sociale (les plus modestes rejetés davantage en périphérie). Ainsi, les inégalités régionales ne cessent d’augmenter : en 2008, 35 communes (sur 1 270) concentraient la moitié de l’emploi ; en 2013, 19 communes seulement. D'où une explosion de la demande de transports. C'est un processus infernal qui fait frémir : 43 millions de déplacements/jour, en hausse de 300 000 flux/jour chaque année. Soit une demande supplémentaire de cinq millions de déplacements/jour à l’horizon 2030, à peu près l’offre nouvelle du GPE. Donc un jeu à somme nulle, mais à un coût faramineux (au moins 38 milliards) générant une dette de 134 milliards au bas mot sur la longue durée, sans compter la rénovation du réseau existant, estimée à 26 milliards. Un scénario totalement incompatible avec les engagements de la France lors de la COP 21, d'autant que le GPE doublerait la consommation électrique du réseau francilien.
Eviter l’étalement urbain
Enfin, le bénéfice de la densification sur les volumes de constructibilité est neutralisé par le prix des terrains qui subit mécaniquement une majoration, contrariant ainsi l’objectif initial en aggravant l'étalement urbain. Cela illustre, d'une part, que le marché du foncier et de l'immobilier, non régulé, est bien plus structurant que les transports, et, d'autre part, que transports et aménagement sont interdépendants et devraient donc être gérés par une seule et même institution.2
Ces réflexions associatives de bon sens et indépendantes à la fois des modes et de la durée soulignent à l’envie les difficultés vers lesquelles s’oriente la Métropole si elle laisse l’urbanisme aux promoteurs et aux transporteurs tout en oubliant ses habitants.
Dossier rédigé par Luc BLANCHARD, Christian COLLIN, Jacqueline LORTHOIS, Jean-Pierre MOULIN, Michel RIOTTOT, Pierre SALMERON, Harm SMIT
1 Le Grand Paris des Habitants, Les urbanistes associés, 2013, www.lesbassinsdeviedugrandparis.fr.
2 Ces aspects fondamentaux sont traités en profondeur dans Grand Paris – Vers un Plan B, Marc Wiel, éd. La Découverte, 2016.