EAU
Baignade en Seine à Paris en 2024,
une mission impossible ?
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Jacques Chirac, en 1988, dans son programme électoral, avait annoncé qu’il se baignerait dans la Seine parisienne en 1994, annonce renouvelée en mai 1990 alors qu’il était maire. Promesse qu’il n’a pu tenir faute d’amélioration de la qualité de l’eau.
Qu’en est-il actuellement ?
Les jeux Olympiques 2024 arrivent bientôt et des promesses ont été faites pour des épreuves aquatiques en Seine, à Paris ainsi que des zones de baignade en bassins.
La Seine comme de nombreux fleuves et rivières a servi d’exutoire aux rejets de la ville (usines et ateliers, déversoirs d’orage etc.). Recevant tous les rejets venant de l’amont (usines d’assainissement de Valenton et de Noisy…) ainsi que les ruissellements d’origine agricole, la pollution de l’eau était telle que la vie aquatique était fortement réduite. En 1970, seules quatre espèces de poissons à Paris étaient identifiées. Cette situation s’est améliorée pour les poissons puisque les dernières évaluations montraient une trentaine d’espèces en 2018.
La baignade en Seine
Bien que l’on s’y soit baigné de tous temps, la mode s’est amplifiée à partir du milieu du XVIIe siècle, le niveau de l’eau y était plus bas et les quais maçonnés n’étaient pas continus comme de nos jours.
D’abord, une baignade dans le plus simple appareil puis, dès le début du XVIIIe, les baigneurs portaient des vêtements appropriés. Les bateaux de bains, ancêtres des bains douches terrestres, permettaient des bains de lavage à eau froide puis, par la suite, à eau chaude.
La pratique de la baignade en Seine parisienne a été interdite en 1923, mais s’est poursuivie de manière illicite jusqu’en 1950. Pendant la période 1939-1945, les baignades ont été nombreuses, l’eau y était plus propre car de nombreuses usines étaient arrêtées…Fin août 1944, des foules de Parisiens s’y sont baignés. Outre les bateaux de bains, la barge piscine Deligny, quai Anatole-France, disparue en 1993, a permis de se baigner dans de l’eau filtrée.
Les projets parisiens pour une baignade en Seine
La maire de Paris souhaite organiser deux épreuves aquatiques des JO 2024, triathlon et 10 km nage libre, dans la Seine au pied de la tour Eiffel si la qualité de l’eau s’est améliorée d’ici là. Pour le public, cinq bassins flottants et aménagés sont prévus pour 2025 : deux dans le 16e arrondissement, l’un au niveau du bois de Boulogne, l’autre au niveau du Trocadéro, un bassin dans le 1er arrondissement rive droite, entre le pont neuf et le pont des arts, un bassin dans le 4e arrondissement rive droite, entre le pont Notre-Dame et le pont au Change, et le dernier dans le 12e arrondissement rive droite, entre le pont de Bercy et la passerelle Simone-de-Beauvoir.
Qualité de l’eau du fleuve à Paris
Les eaux du fleuve sont analysées de manière continue depuis le début du XXe siècle pour certains paramètres. Les paramètres permettant la mesure du risque de maladie immédiate lors d’une baignade sont principalement les paramètres microbiologiques, suivis grâce aux indicateurs fécaux que sont les E. coli et les entérocoques. Ces indicateurs sont depuis plus d’un siècle le témoin de présence de matières fécales dans les eaux.
Des études épidémiologiques ont permis d’établir la relation entre la concentration de ces indicateurs dans une zone et la probabilité d’apparition d’une maladie lors d’une baignade dans cette même zone. Ces études se sont traduites dans les règlementations européennes et les limites de qualité sont issues de ces travaux. A noter que ces travaux se sont déroulés sur des eaux côtières salées ou sur des lacs artificiels et non en rivière.
Règlementation de baignade en eau douce (Directive européenne 2006/7 du Parlement européen du 15 février 2006)
Elle est déterminée par l’analyse microbiologique de deux genres de bactéries d’origine fécale potentiellement dangereuses pour l’homme : Entérocoques intestinaux et Escherichia Coli. Une baignade est autorisée si, pendant quatre ans et avec quatre prélèvements par an en des points de surveillance déterminée par l’Agence régionale de santé, la moyenne des mesures plus son écart-type au 90éme percentile n’a pas dépassé la valeur seuil fixée par la directive ci-dessous.
A |
B |
C |
D |
Paramètres |
Excellente qualité |
Bonne qualité |
Qualité suffisante |
Entérocoques intestinaux (UFC/100mL) |
200 |
400 |
330* |
Escherichia Coli (UFC/100 mL) |
500 |
1000 |
900* |
- Evaluation au 90éme percentile
Les mesures dans la Seine en été (2014-2017)
Si l’on a pu observer une amélioration de la qualité depuis la fin des années 1980, les analyses microbiologiques récentes montrent que des épisodes de concentration forte en indicateurs fécaux sont encore fortement présents, encore plus lors d’épisodes pluvieux. Cette contamination rend la Seine difficilement baignable.
Les concentrations d’Escherichia Coli dans différents secteurs de la Seine parisienne pendant les étés 2014 à 2017 sont publiées par le laboratoire Eau, Environnement et Systèmes urbains de l’université Paris Est Créteil dans le livre Hosting the Olympic Games : Uncertainty, Debates and Controversy édition Routledge 2020. Chapitre 9 « The Microbiological Quality of the Seine River » by F. Lucas, Bernard de Gouvello, JM Mouchel, et al.
Répartition des mesures d’E. coli pendant les étés 2014 et 2017.
En rouge la moyenne et la répartition des percentiles 90.
La partie rouge haute est donc représentative de la qualité de classement.
Ainsi dans ces mois d’été, les valeurs moyennes d’E. coli oscillent entre 1 000 et 6 000 pour 100 ml et si on tient compte de l’écart-type supérieur à près de dix fois le seuil légal
Cependant, ces critères légaux de la détection des microorganismes et de classement des baignades semblent en l’état de nos connaissances actuelles très insuffisants car uniquement basés sur des indicateurs bactériens d’origine intestinale ; coliformes, entérocoques fécaux trop spécifiques. Le suivi direct des pathogènes tels que Campylobacter, Helicobacter, Legionella… n’est pas réalisé, et plus embêtant encore, les virus entériques (Norovirus, Rotavirus, Astrovirus, Adenovirus, Reovirus), responsables des diarrhées et gastroentérites, entérovirus (poliomyélite, méningite….) et hépatite A et E (infections hépatiques) sont totalement oubliés, de même que les protozoaires à l’origine de dysenterie et diarrhée (Giardia, Cryptosporidium, etc.), et enfin les vers helminthes (Ascaris…).
Certains de ces microorganismes pathogènes sont présents, notamment les virus entériques, comme décrit dans le document cité plus haut.
De Paris plages à Paris baignades
La ville a popularisé l’idée d’une baignade possible en 2025 tout en organisant, chaque été, des baignades encadrées dans le bassin de la Villette. Or, les scientifiques et spécialistes de la gestion de l’eau savent que les conditions d’une baignade telles que définies par la Directive européenne « Eau de baignade » ne seront pas atteintes en 2024 ni en 2025.
Depuis 1970, l’état sanitaire de la Seine s’est amélioré, mais de grosses menaces perdurent via :
- les orages violents qui débordent les usines d’assainissement amont et le fonctionnement des déversoirs d’orage parisiens,
- les dizaines de milliers d’erreurs de branchements des eaux vannes sur les tuyaux des eaux de pluie,
- la trop grande imperméabilisation de la capitale (65 % en ce moment).
Les études récentes entreprises par le SIAAP, l’Agence de l’eau Seine-Normandie, la ville de Paris et les départements de la petite couronne chiffrent les travaux urgents à 1,5 milliard d’euros.
Le SIAAP a entrepris, depuis les années 2000, d’importants travaux pour limiter les déversements d’orages à Paris en créant dans le sous-sol parisien des tunnels (TIMA) pour capter une partie de ces eaux d’orage, les deux grands réservoirs ont une capacité ensemble de 200 000 m3. Il a fallu plus de dix ans et 200 millions d’euros pour créer ces trois réservoirs ! Or, une pluie d’orage de 10 mm (pluie faible) déverse 850 000 m3 d’eau sur Paris (sans les deux bois) dont au moins 600 000 m3 ne peuvent pénétrer dans les sols et se retrouvent en Seine.
Le Plan Pluie de Paris
Ce plan définit les zones où la pluie peut s’infiltrer et demande que les nouveaux projets urbains comprennent des zones de pleine terre. Malheureusement, nombre de facteurs s’y opposent. Les gestionnaires de réseaux souterrains : RATP, SNCF, Electricité, Fibre internet, Gaz, Égouts, Carrières n’en veulent pas craignant de mettre en périls leurs installations, mais aussi tous les promoteurs immobiliers qui ne souhaitent pas perdre un m2 à urbaniser. Un plan mort-né !
Malgré tout, l’Etat, les collectivités territoriales, l’Agence de l’eau Seine-Normandie, le SIAAP et le gestionnaire des ports parisiens HAROPA ont décidé de créer une « task force » pour tenter d’améliorer la qualité de l’eau du fleuve, placée sous l’égide du préfet de région.
La « Task Force » du préfet Cadot
Le 12 juillet 2019, l’Agence de l’eau Seine-Normandie adopte une délibération qui acte la création de cette force, cinq groupes de pilotage (GT) qui s’engagent en novembre 2019 à rendre la Seine « baignable » en 2024.
- GT1 « priorisation des rejets », piloté par le SIAAP
Il vise à mettre en place un traitement bactériologique des eaux usées à la sortie des stations d’épuration. En amont de Paris, le SIAAP pilote deux stations d’épuration : l’une sur la Marne, à Noisy-le-Grand, l’autre sur la Seine, à Valenton. Elles éliminent 99 % des bactéries fécales ce qui est insuffisant tant la charge microbienne est importante. La charge microbienne des fèces humaines est de l’ordre de 100 milliards de bactéries par gramme, 99 % de diminution abaisserait ce nombre à un milliard. Heureusement, les traitements et une dilution aqueuse importante interviennent mais les études récentes montrent qu’à la sortie des usines d’épuration de Valenton ou de Noisy, il reste environ un million de bactéries par 100 millilitres. Ces deux stations rejettent environ 500 à 600 millions de m3 d’eau « épurée à 99 % » par an, d’où la pollution de la Seine.
Noisy était dotée d’une unité de désinfection par UV à sa mise en service, en 2009, mise en sommeil en 2013 pour limiter le coût de la facture électrique en l’absence de baignade alentour.
Resterait encore à équiper Valenton, pour un coût grossièrement évalué par le SIAAP en 2016 entre 50 et 80 millions d’euros. Il semble que le SIAAP ait renoncé à cette technique à l’automne 2019, contre la volonté de Paris, pour lui préférer un traitement chimique à l’acide performique (voir ci-après).
- GT 2 « suppression des mauvais branchements », piloté par le conseil départemental du Val-de-Marne
Il s’agit principalement de créer les réseaux d’assainissement manquants et de résoudre les erreurs de branchements des immeubles dont les eaux usées se déversent dans le réseau d’eau pluviale, et réciproquement, pour aboutir ensuite dans les cours d’eau. Les études conduites depuis plusieurs années conduisent à estimer que les mauvais branchements du Val-de-Marne, en amont de Paris, sont à l’origine de 80 % de la pollution bactériologique de la Seine dans Paris intra-muros.
Selon les estimations rendues publiques, ces mauvais branchements seraient au nombre de 20 000 à 50 000 pour le seul département du Val-de-Marne ! Il en a au mieux réparés quelques centaines chaque année, depuis une dizaine d’années. Sur ce seul poste le budget des mises en conformité est évalué à près de 300 millions d’euros dont personne ne dispose aujourd’hui.
- GT3 « gestion des eaux pluviales », piloté par le conseil départemental de Seine-Saint-Denis
Il a pour objectif de maîtriser les rejets de temps de pluie des réseaux d’assainissement. Il s’agit principalement de réduire les apports d’eaux pluviales dans ces réseaux et d’améliorer leur gestion pour limiter les déversements d’un mélange d’eaux usées et d’eaux pluviales.
La ville de Paris, nous l’avons vu, n’a formellement adopté un « zonage pluvial » qu’en 2018… Il s’agit d’un ensemble de mesures destinées à réduire l’apport des eaux de pluie dans les réseaux. Mais Paris est la capitale la plus minéralisée (bétonnée) d’Europe. Il faudrait désimperméabiliser le sol, mais tout le monde s’y oppose. L’espoir de gagner en capacité d’infiltration dans Paris intra-muros est-il donc vain ?
- GT 4 « bateaux et établissements flottants », piloté par HAROPA-Ports de Paris
Il vise à traiter les sources locales de pollution, en supprimant les rejets d’eaux usées des bateaux. Les 200 bateaux d’habitations présents dans Paris intra-muros ne représentent (eaux noires + eaux grises) que 2 à 3 % de la pollution bactériologique enregistrée dans la Seine à Paris. HAROPA veut pourtant imposer la création de stations de raccordement au réseau d’assainissement sur les berges, pour un coût unitaire de 200 000 euros, ce qui imposerait à chaque propriétaire des travaux d’aménagement intérieur pour un coût de 40 000 euros !
Alors que des solutions moins onéreuses existent (toilettes sèches, phyto épuration…) étudiées par l’association des propriétaires de bâteaux.
- GT 5 « amélioration de la connaissance » portant sur la qualité des cours d’eau en vue de la baignade, piloté par la Ville de Paris
La directive européenne « baignade » stipule que l’obtention du label qualité baignade est subordonnée à l’établissement d’un « profil ». Celui-ci est établi via une campagne de mesures approfondies d’une durée de quatre ans avant l’obtention dudit label. Aucun facteur déclassant (présence d’Escherichia coli ou d’entérocoques fécaux supérieure aux normes) ne doit être enregistré durant ces quatre années. Rien que cette condition démontre l’inanité de cette démarche à moins de tordre la réglementation ce qui semble être envisagé dans l’enquête, « Paris 2024, nager dans la Seine, ce n’est pas gagné » parue dans l’Equipe Magazine le 11 janvier 2020 !
Déversements dans la Seine par les stations d’épuration, les mauvais branchements et les déversoirs d'orage
Un projet utopique, la désinfection chimique de la Seine
Le chimiste finlandais Kemira commercialise depuis 2013 le procédé DesinFix pour la désinfection des eaux usées par voie chimique via la production in situ d’acide performique, un oxydant très puissant, mais instable, qui élimine les bactéries par réaction radicalaire. Enregistré par la directive Biocides, ce composé est autorisé en désinfection des eaux usées par le ministère de l’Environnement.
Le SIAAP envisage-t-il sérieusement cette option alors que la solution Kemira n’a été implantée en France en vraie grandeur qu’à Biarritz, dans un cadre qui demeure largement expérimental, avec un suivi de l’IFREMER ?
Utilisée pour traiter les effluents sortant de l’usine de Valenton, cette technique peut-elle aussi être utilisée pour désinfecter aussi l’eau de la Seine afin de diminuer la concentration microbienne issue des mauvais branchements ?
Que restera-t-il de la vie aquatique (poissons, algues,…) et quels seront les effets chez les baigneurs ?
Pour conclure, sans même utiliser tous les arguments évoqués, le suivi de la règlementation actuelle en matière de baignade avec les quatre années de suivies sans dépassement des seuils microbiens montre clairement que la baignade ne sera pas possible en 2024-2025.
Le PIREN-Seine qui étudie le bassin de la Seine depuis trente ans, indique que les périodes estivales de basses eaux, compte tenu du réchauffement climatique, entraînent un faible débit et des sources de pollution non maîtrisées qui augmenteront la dangerosité de l’eau du fleuve.
Enfin, il est souhaitable que la gouvernance du dossier Baignades en Seine soit la plus transparente possible et que la règlementation existante ne soit pas simplifiée. Un plan de réduction des « déversements inappropriés » et un traitement microbiologique effectif des eaux usées suffisamment doté financièrement ne permettront en réalité d’atteindre cet espoir de baignade qu’à l’horizon 2040-2050.
Marc LAIMÉ
Journaliste
Michel RIOTTOT
Président d'honneur de FNE Ile-de-France