Assises nationales du transport aérien
Cahier d’acteur France Nature Environnement Ile-de-France
______
France Nature Environnement Ile-de-France est la fédération francilienne des associations de protection de la nature et de l'environnement. Elle est le porte-parole de plus de 400 associations, unions ou collectifs départementaux et locaux. Membre de la fédération nationale France Nature Environnement, FNE Ile-de- France est son représentant régional.
Créée en 1974, elle est régie par la loi de 1901, agréée environnement depuis 1981 et habilitée au dialogue environnemental au niveau régional depuis 2012. Elle est indépendante de tout mouvement confessionnel, syndical, économique ou politique.
Face aux menaces qui pèsent sur l'environnement, l’union défend l'intérêt général, intervient auprès des décideurs par des contacts réguliers, propose des solutions pour concilier activités humaines et équilibres naturels, assure la représentation des associations de protection de la nature et de l'environnement dans de nombreuses instances de concertation et consultatives, agit en justice.
Parmi ces menaces, les nuisances du trafic aérien, bruit et pollution chimique, tiennent une place éminente et, depuis des décennies, publications, manifestations, conférences et colloques nous ont permis de faire valoir nos positions. C’est donc bien volontiers que nous souhaitons, par ce cahier d’acteurs participer à ces Assises nationales du transport aérien.
La situation du point de vue des riverains et survolés
Il n’est pas question, pour nos associations, de remettre en cause l’utilité du transport aérien mais, comme l’indiquait en 2003, en préambule de ses recommandations, le rapport d’une mission confiée à des parlementaires1 : « La situation autour de Roissy Charles-de-Gaulle et d'Orly est aujourd'hui explosive. L'état des lieux en région parisienne est par ailleurs dramatique : la mission considère qu'il est anormal que 2 à 2,5 millions de Franciliens soient sacrifiés au développement des plates-formes parisiennes, sans que des mesures compensatoires et une diminution significative des nuisances ne soient mises en œuvre ».
Depuis 2003 la situation ne s’est en rien améliorée. Bien au contraire ! Il faut bien avoir conscience que les territoires subissant les nuisances s’étendent bien au-delà du voisinage immédiat des pistes. La figure 1 ci-joint montre bien que de très nombreuses associations, reconnues par la Préfecture de Région, se mobilisent bien au-delà des zones où les nuisances sont officielles2. On constate au passage, en comparaison avec la surface de Paris, l’énorme étendue de territoire autour de Roissy partiellement stérilisée pour la construction de logements, tant réclamés par ailleurs !
Figure 1
Cet étalement des nuisances sonores très au-delà du bout des pistes est directement lié à l’encombrement du ciel francilien qui concentre en gros la moitié du trafic commercial national. Et ce trafic d’Orly et de Roissy est pratiquement doublé par celui des 21 autres « petites » plates-formes aéroportuaires que comporte la région Ile-de- France.
Les survols sont donc incessants et leurs trajectoires se croisent. Pour éviter absolument les collisions qu’évidemment tout le monde redoute, ils sont souvent séparés par une différence de niveau de vol. Il en résulte de fréquents survols bruyants à basse altitude très loin des pistes. La réalité quotidienne de ces survols anarchiques est bien mal décrite par les données officielles du Ministère, les fameuses « journées caractéristiques » publiées par la DGAC. Direction ministérielle qui refuse toujours obstinément de mettre en ligne les trajectoires réelles avec un léger décalage de temps, comme cela se pratique pour beaucoup de grands aéroports internationaux.
Figure 2
La figure 2 ci-dessus, copie d’écran des trajectoires réelles sur une journée choisie au hasard (le 30 août 2015) et relevée sur un site associatif, montre bien que très peu de la surface de la région Ile-de-France est épargnée par ces survols générateurs de nuisances.
Bruit
Quatre points sont pour nous essentiels :
- Ce fait est trop méconnu en France (et les lobbies n’y sont pas pour rien !) il ne s’agit pas d’une question de confort ou de simple « gêne sonore » mais d’une vraie question de santé publique. En cette matière la commission Européenne place le bruit sur le même plan que la pollution locale de l’air3.
- Le coût social du bruit est élevé et a été évalué en 2016 à 6,9 milliards d’euros par an en Ile-de-France pour l’ensemble des transports4. Dans cette évaluation la part des avions a été estimée à partir des données officielles, pour nous insuffisantes, comme indiqué brièvement plus haut en raison de l’étendue des nuisances très au-delà des zones où le bruit des avions est officiellement reconnu. Ce coût social est évidemment à mettre en balance quand on évalue les bénéfices économiques réels du transport aérien.
- Dans le domaine des nuisances et de leur effet, il faut parler du bruit tel que ressenti par ses « victimes » et non de données brutes sorties d’un sonomètre ou de l’énergie sonore produite, comme s’obstine encore à le faire la DGAC, défendant ainsi les seuls intérêts des industriels du transport aérien. Madame la ministre des Transports en est consciente pour le ferroviaire puisque, lors de son audition du 8 novembre dernier au Sénat, elle déclarait5 « il est vrai que la réglementation dans le domaine du ferroviaire table sur un bruit moyen. Il faudra sans doute les compléter par une vérification d'une absence de pics sonores particulièrement pénalisants. Certes, la réglementation est basée sur le bruit moyen, mais cela ne veut pas dire que l'on ne va pas traiter cette situation. Nous devrons trouver un cadre adapté, si on ne peut pas s'appuyer sur les réglementations existantes et les obligations des concessionnaires. ». Ce cadre adapté pour le ferroviaire doit aussi être recherché pour l’aérien !
- Enfin, en raison de ses caractéristiques propres (agressions sonores répétitives à bref intervalle de temps, source de nuisance clairement identifiable en hauteur « arrosant » directement et sans protection possible les survolés) le bruit des avions, à décibel égal, est déclaré beaucoup plus gênant que le bruit routier et surtout le bruit ferroviaire, comme l’illustre la figure 3 ci-contre.
Figure 3 : Brüel & Kjaer Bruits de l’Environnement
Pollution
Contrairement au bruit, point n’est besoin aujourd’hui d’insister sur la dimension santé publique de la pollution locale de l’air, essentiellement due aux émissions nocives d’oxydes d’azote (NOx) de particules fines (PM10, PM2,5) et à l’ozone qui est un polluant secondaire en grande partie résultant des émissions d’oxydes d’azote.
Il est, par contre, nécessaire d’insister sur son coût social particulièrement élevé. Un récent rapport parlementaire l’évalue pour la France dans sa synthèse6 entre 68 et 97 milliards d’euros par an pour le coût sanitaire, auquel il faut encore ajouter 4,3 milliards pour le coût non sanitaire. Et de préciser : « Les coûts de la pollution de l’air sont fortement sous-évalués, en raison d’incertitudes […] Par ailleurs, l’effet cocktail des différents polluants de l’air n’est pas pris en compte […] En conséquence, les coûts estimés par les études actuelles sont très inférieurs au coût réel de la pollution de l’air ».
En ce qui concerne l’aviation civile, nous dénonçons un discours hors sujet essentiellement axé sur le réchauffement climatique et les émissions de CO2, discours visant à nier la responsabilité des décollages et atterrissages des avions dans la pollution locale de l’air autour notamment de Roissy-CDG et d’Orly.
Compte tenu des perspectives d’augmentation du trafic, abondamment mises en avant par les industriels de l’aviation civile dans la presse économique, et auprès du grand public pour faire croire à un fallacieux pactole d’emplois, ces émissions de NOx et particules vont inexorablement augmenter dans les années à venir. Les dispositions du Plan de protection de l’atmosphère (PPA) de l’Ile-de-France, qui vient d’être révisé le 31 janvier dernier, ne sont, pour le trafic aérien, que des mesurettes dont le seul effet sera de légèrement atténuer les dégâts7.
Le kérosène est pire que le gasoil. En effet les réacteurs d’avions émettent les mêmes polluants qu’un moteur diesel, mais en beaucoup plus grosse quantité, et sans possibilité technique raisonnable de filtre à particules ni de pot catalytique anti NOx8.
A l’heure des restrictions annoncées de circulation en ville, notamment des véhicules roulant au gasoil, cette absence de diminution des émissions polluantes des avions est particulièrement choquante pour les utilisateurs d’automobiles que nous sommes tous.
Enfin, il nous paraît également choquant, au moment où les émissions vont augmenter sur les tarmacs, que la législation du travail y permette encore des concentrations d’oxyde d’azote (NO2 seul réglementé) 150 fois supérieures à la limite de 40 microgrammes par mètre cube en moyenne annuelle, qui est la norme pour l’ensemble de la population.
Des contre-vérités trop souvent entendues
Comme tout lobby qui se respecte, celui du transport aérien communique activement pour tenter de se donner une image d’industrie respectueuse de l’environnement. Et ceci au prix d’un certain nombre de contre-vérités et/ou de mensonges par omission sur lesquels nous souhaitons pouvoir attirer l’attention lors des assises, notamment concernant l’emploi.
Brièvement :
- l’IGMP9 indice de mesure de bruit spécifique à Roissy-CDG et qui, c’est fait pour, indique que le bruit baisse quand le trafic augmente.
- Le relèvement des altitudes de novembre 2011 à Orly qui promettait une division du bruit par deux alors qu’il s’agissait d’une baisse du bruit seulement perceptible sur une partie négligeable de quelques pourcents de la trajectoire concernée.
- Le récent petit film soi-disant pédagogique de Safran10 qui explique qu’ « un avion fait moins de bruit qu’une trompette ou un bébé qui pleure » et que grâce à son nouveau réacteur LEAP « l’empreinte sonore des avions est réduite de moitié ».
- Le discours omniprésent sur la réduction du bruit à la source alors que les spécialistes à l’abri des conflits d’intérêt savent bien qu’il y a très peu à attendre de ce côté-là et beaucoup par contre du côté des procédures de navigation aérienne « douces » pour les riverains.
- Pour la pollution atmosphérique, le discours quasi exclusif sur le CO2 alors que, depuis quinze ans les publications Eurocontrol11 font état d’un réel problème de qualité de l’air autour des grands aéroports et que Safran a engagé, depuis des années, des études considérables pour tenter de réduire les émissions de NOx et particules fines, études dont les effets ne seront tangibles aux bords des pistes, au mieux, que dans plusieurs décennies.
- Les quantités de polluants émis rapportés, en pourcentage, au total émis sur la région Ile-de-France. Ce qui permet d’afficher un petit chiffre. Alors qu’en toute rigueur il faudrait les rapporter aux quantités beaucoup plus faibles émises par les autres contributeurs que le trafic aérien au voisinage des plates-formes et de leurs zones environnantes.
- Enfin, les retombées économiques et particulièrement l’emploi. Des études ont été spécifiquement commanditées pour tenter de démontrer un effet bénéfique considérable des aéroports de Roissy et d’Orly sur l’emploi12. La méthode utilisée consiste tout bonnement, premièrement, à ne pas considérer les pertes d’emplois générées par le développement aéroportuaire (par exemple et non exhaustivement la stérilisation partielle des constructions dans les PEB) ni les effets de la paupérisation des territoires soumis aux nuisances. Et deuxièmement à compter plusieurs fois le même emploi en comptabilisant, outre les emplois directs des industries concernées, des emplois supposés indirects, induits et catalytiques. Avec cette méthode, si chaque secteur industriel comptabilisait les emplois de cette manière, on obtiendrait au total trois ou quatre fois plus d’emplois qu’il n’en existe réellement sur le territoire concerné. Si on en revient aux seuls emplois directs ceux- ci diminuent fortement malgré l’augmentation du nombre de passagers. Air France par exemple en a perdu 19,5% entre 2004 et 201613.
Nos propositions
Nous espérons donc vivement que ces assises pourront constituer un tournant et qu’enfin les bénéfices des innovations technologiques, tant mises en avant par Madame la ministre des Transports, pourront être mises au profit de la réduction des nuisances et pollutions que subissent quotidiennement riverains et « survolés » et non pour entasser encore plus d’avions sur une région déjà saturée14.
Plus précisément nous espérons :
- Que la règle concernant les procédures de vol, maintes fois annoncée et consistant, après la sécurité évidemment, à placer l’environnement avant la rentabilité économique, soit enfin concrètement appliquée quotidiennement par les contrôleurs aériens. Ce sujet est capital pour atténuer les nuisances sonores et doit être correctement traité.
- Que les trajectoires réelles de vol soient accessibles sur internet en temps réel, avec un léger décalage pour parer à toute intention malfaisante.
Les deux mesures ci-dessus seraient elles seules à même d’enfin faire baisser les nuisances sonores telles que ressenties par leurs « victimes » et d’enrayer la paupérisation croissante des territoires observée sous les couloirs concentrés à basse altitude. Figure 4 ci-jointe. - Que les mesures de pollution sur les plateformes soient effectuées par des organismes indépendants et à l'abri de tout conflit d'intérêt et non par les laboratoires d'Aéroport de Paris.
- Que la DGAC, qui considère que le premier pilier de sa politique est de réduire le bruit à la source, mette concrètement en application ce principe en imposant un plan immédiat et contraignant d’élimination des avions les plus bruyants.
Enfin, et pour terminer, que soit abordée de front la question globale de savoir s’il est réellement soutenable que notre Région supporte la forte croissance attendue du trafic aérien. Question semble-il précautionneusement évitée par le programme de ces assises. Un bilan économique environnemental doit être fait mettant en balance le coût social de la pollution aérienne et du bruit (plusieurs milliers d’euros pour chacun des millions de Franciliens concernés) avec les espoirs d’emplois que font miroiter les industriels du transport aérien.
Figure 4
1 www.assemblee-nationale.fr/12/rap-info/i1016-2.asp Fin du chapitre V- LES PROPOSITIONS DE LA MISSION
2 Plans d’Exposition au Bruit (PEB) : zones où, en raison des nuisances sonores officiellement reconnues, les possibilités d’implantation d’habitations sont limitées.
3 https://ec.europa.eu/info/events/noise-europe-2017-apr-24_en
4 Etude CNB, ADEME, E&Y juin 2016 www.bruit.fr/images/stories/pdf/ADEME%20CNB_Coût_social_des_pollutions_sonores_Rapport_2016_05_04.pdf
5 www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20171106/devdur.html#toc2 début page 14.
6 www.senat.fr/fileadmin/Fichiers/Images/commission/enquete/pollution_air/Synthese_CE_Pollution_de_l_air.pdf
7 Avis de la Convergence Associative sur le projet de révision du PPA Ile-de-France, 15 novembre 2017.
http://acnab.org/images/articles/ConvergenceAssociative/2017-11-13%20avis%20convergence%20sur%20ppa-idf%202017-%20final.pdf
8 Safran travaille activement au niveau de la recherche sur la réduction des émissions de NOx mais il faudra attendre une nouvelle génération de réacteurs basés sur des techniques en cours de développement. Pour rappel le dernier modèle, le LEAP, vient de sortir 40 ans après le modèle précédent, le CFM56, sans avancée notable prouvée sur la réduction des émissions de NOx, mais avec une avancée notable sur la consommation de kérosène, raison essentielle pour laquelle il a été conçu, et par conséquent une diminution des émissions de CO2.
9 IGMP Indice Global Mesuré Pondéré représentatif de l’énergie sonore et non des pics de bruit successifs ressentis comme des agressions sonores affectant les systèmes nerveux sympathique et endocrinien des « survolés ».
10 SIMPLIFLY du constructeur de réacteurs SAFRAN www.safran-group.com/fr/video/11118
11 Skyway 31 – winter 2003 The Environmental challenge, more than just noise
12 Evaluation des impacts économique et social des aéroports Paris-Charles de Gaulle, Paris-Orly, Paris-Le Bourget pour l'année 2010 - AEROPORTS DE PARIS – BIPE 15 Février 2012 – Etude d’impact socio-économique des aéroports PARIS-CHARLES DE GAULLE, PARIS- ORLY et PARIS-LE BOURGET Utopies 2017. Etude UTOPIES Rapport 2017. Etude d’impact socio-économique des aéroports Paris-Charles de Gaulle, Paris-Orly et Paris-Le Bourget.