L'artificialisation des terres agricoles : les inquiétudes des agriculteurs sur l'avenir du Plateau de Saclay
______
Dans cette lettre ouverte écrite par les agriculteurs du plateau de Saclay, ils s'inquiètenet pour leur terre et son avenir dans un monde où l'artificialisation des terres agricoles est en pleine expansion.
Durant cette année marquée par la sécheresse estivale, la ferme de la Martinière a récolté 115 quintaux de maïs à l’hectare, soit 31% de plus que la moyenne nationale. Dans la ferme expérimentale Arvalis, le rendement en blé tendre a atteint 90 quintaux l’hectare, c’est-à-dire un chiffre 22% supérieur à la moyenne française. En agriculture biologique, la récolte de pommes de terre de la ferme Vandame était de 52 tonnes à l’hectare, soit 25% de plus que la moyenne nationale.
Pourtant, ces rendements, obtenus sans irrigation, ne sont pas exceptionnels sur le Plateau de Saclay. Chaque année, ils atteignent des niveaux similaires. Ces résultats stupéfiants s’expliquent par les caractéristiques pédologiques très spécifiques des terres du plateau. En surface, les limons particulièrement riches offrent aux plantes les nutriments dont elles ont besoin. Plus en profondeur, l’épaisse couche d’argile constitue une réserve abondante en eau permettant aux cultures de résister aux étés secs et chauds devenus si courants. Situées aux portes de Paris, ces terres offrent une réponse indéniable à l’enjeu d’alimenter une immense métropole en croissance et un rempart évident contre les conséquences désastreuses du réchauffement climatique que nombre de territoires agricoles subissent déjà impuissants.
Alors, nous, agriculteurs du Plateau de Saclay, avons voulu saisir l’opportunité unique que ces terres représentent face aux défis environnementaux, sociaux et économiques de notre temps. Nous nous sommes ainsi réunis et rapprochés des autres acteurs de ce territoire pour repenser collectivement notre agriculture et la place qu’elle occupe dans le projet territorial. Guidés par notre passion et nos convictions communes, nous avons, ensemble, fait évoluer nos pratiques agricoles, diversifié nos activités, développé des circuits courts et locaux, recréé du lien avec les habitants, les travailleurs et les étudiants du territoire urbain qui nous entoure. Petit à petit, l’agriculture, pendant indissociable de l’urbain, est devenue le cœur d’un projet commun, redonnant du sens et de la cohérence à ce territoire en profonde mutation.
Mais, de ce territoire qui retient tant les attentions, l’on ne connait généralement que l’un de ses versants, le cluster scientifique et technologique, oubliant trop souvent celui classé second, l’agriculture, pourtant historique et encore structurant.
Alors, déjà, nous constatons les effets délétères d’une urbanisation qui ignore l’agriculture et son fonctionnement. Nous avons besoin, pour pratiquer notre métier, de conditions très spécifiques qui se détériorent sans cesse davantage à mesure que les projets urbains avancent. Si nous avons fait preuve, jusqu’ici, d’une certaine résilience, nous craignons de ne pas pouvoir résister longtemps à ce qui nous attend, encore. Le devenir de l’agriculture du Plateau de Saclay, dont dépendent ses terres d’exception, repose sur un équilibre fragile aujourd’hui menacé.
En faisant ce constat, nous ne pouvons parler autrement qu’avec nos émotions, souvent contrastées, parfois fluctuantes, mais toujours sincères et graves. Une profonde tristesse, face aux dégâts irréparables causés à ces terres, est parfois supplantée par nos craintes grandissantes pour l’avenir. Mais, continuellement, nous essayons de garder intact cette puissante espérance, celle qui nous tient au quotidien, celle qui nous pousse à écrire aujourd’hui.
Les premières terres agricoles aux portes de Paris comptent aussi parmi les dernières. Ces terres sont précieuses, même inestimables. Alors, nous invitons ceux qui nous lirons à mettre tous les moyens enœuvre pour en prendre soin, comme nous en prenons soin et comme elles prennent soin de nous tous. Car aujourd’hui l’avenir de ces terres est plus que jamais entre vos mains.